« Quel délice de manger dans le noir ! Emporter de la nourriture dans mon lit et manger dans le noir. Il peut être impossible d’en voir la forme, mais elle redouble de saveur. Je pense parfois que toute lumière est indécente.
Goût pour une intimité plus charnelle, plus sombre, suspicion à l’égard de toute avant-garde officiellement reconnue et canonisée. Les formes ont beau être plus nettes à la lumière, l’éclairage entraîne sa méfiance : sous le feu des projecteurs, la saveur des choses diminue de moitié. » - Auteur inconnu
“Je considère à ce jour que les temps de gestation, de mûrissement interne de ma recherche et de ses accouchements sont liés à tout mouvement intime de mon existence, et qu'il me faut sans cesse remettre à jour mes questionnements et ma place dans ce monde avant d'estimer être en mesure de donner à voir un point de vue personnel, particulier et suffisamment ouvert au spectateur, qui suscite chez lui une dose d'interrogation et de bouleversement singuliers.
Ce sans doute pourquoi je réfute souvent l'idée toute faite, la forme figée, le confort pré-mâché et installé... je préfère miser sur l'inconnu, le tournant, la surprise, le changement... quitte à ne jamais trouver ma place... j'estime que la seule issue se trouve dans le mouvement, qu'il ne peut exister de point de vue arrêté sur ce qui est, en constante modification... un acte artistique doit être pour moi un acte vivant, autant que de naître, vivre et mourir... s'il doit jaillir, c'est sans condition, comme essentiel. Ancré et lié au(x) monde(s). Comme une respiration, insufflant ne serait-ce qu’un tantinet de possibles au devenir de l’humanité présente. Etre – je le souhaite - un rire, un tremblement, une secousse, un frisson, une larme, une pensée motrice et constructive... comme une rencontre puissante, grave et fragile qui inspire en chacun le désir d’accéder à la douceur et au plaisir de vivre, sous quelque forme choisie par chacun que ce soit avec ou sans les autres, et de la revendiquer, surtout et quoi qu’il arrive, pour tous.
Mon univers et ma recherche sont empreints de mes tranches d’existence sociétalement qualifiées d’expériences en territoires “scientifiques, artistiques, philosophiques, politiques etc etc etc”
“Physiques, chimiques, mathématiques, sonores, vocales, musicales, cinématographiques, circassiennes, théâtresques, danseuses”, toutes organisées successivement les unes séparément des autres, annexées dedans et hors du quotidien de chaque jour au sein d’écoles, de facultés, d’ateliers, de stages, de masterclasses, je les relie de prime mémoire – non sans obstacles et difficultés et obstructions - comme des voyages vers des caps inconnus, dont les sillages (ce qui implique que les caps existent, symboliquement ou de facto) soient parcourus sans frontière, de place en place, dits d’allers et retours, du dedans au dehors, d’ici à l’ailleurs, épidermiquement liés pour ma part... utopie, certes sans doute et non dénuée aussi de critiques et de paradoxes et de doutes et voire de colères pour ma part j’en conviens... difficile d’en découdre au regard de l’état du monde.
Mon aspiration et ma pratique buto dès lors confirme mon prompt souvenir, ma perception originelle et de tout temps, transmise au travers de certaines de mes rencontres et enseignements : je vis et croît dans un tout lié. le moteur conscient qui innerve mon appréhension : celui de tendre à être actrice totale et vivante, vectrice de tout élément qui me et que je traverse, que je et qui me constitue, sans délimitation définitive, principe identitaire ou territoriale envers quiconque et ni rigoureusement moi-même.
Majoritairement méconnu, fantasmé, buto a pour particularité d'interroger et re-questionner sans fin chaque personne qui l'aborde et l’explore – parce que tout est là et que chacun étant ce qu'il devient, dans sa complexité, sa multiplicité, son caractère unique et irremplaçable, et parce que toute image, toute expression, tout acte jaillissant du vivant de chacun sont justement propres à chacun, l'idée commune ne peut correspondre à un accord intime avec tous, et chacun ne peut accepter sans réaction d’être classifié, d’appartenir obligatoirement à un groupe fixe et immuable.
Les idées toutes faites et convictions arrêtées sur ce que serait buto ne sont pas buto. Les idées toutes faites et convictions arrêtées sur quoi que ce soit d’ailleurs. Elles figent la vie et bloque les transmissions elles-mêmes.
Un maitre fondateur japonais me dit un jour que 5 années de pratique personnelle intensive au moins sont nécessaires à son enseignement. Au japon. Dans le contexte culturel qui le vit naître. Et encore. Ici je dis qu’il est vain tout au plus de croire avoir acquis quoi que ce soit au nom de buto. Comme au nom de quoi que ce soit d’ailleurs.
S’il ne veut s’enchaîner ou se clouer au repos prolongé voire éternel, l’Homme doit se re-questionner, et ne le cesser pas un instant de plus que nécessaire à son repos, variablement nécessaire j’en conviens, selon l’impératif, choisi par, imposé à et supposé de chacun.
Trop fermement rivés à l’apparence, à l’esthétisme, qui irrémédiablement installent, uniformisent, confortabilisent, ces principes conformistes anesthésient et ravagent toute possibilité, ne serait-ce déjà que s’ouvrir, s’énoncer puis naître puis exister, à la moindre singularité, la moindre inconnue, la moindre surprise, la moindre différence, éléments pourtant essentielles selon moi au devenir. Apparence, esthétismes qui dès lors nous font désespérément mort. A se dire ainsi que cela ne servirait à rien dans ces conditions de chercher. Que je n’arriverais à rien puisque la finalité, le résultat sont dénués de sens, corruptibles par et pour eux-mêmes, figés à l’instant de leur apparition, qu’il n’ont en tout et pour tout pas lieu d’être, puisqu’ils doivent à chaque instant s’entre-succéder et que l’épuisement, la mort foudroyante par ce procédé me guette... c’est le cas, la mort me guette, quoi qu’il en soit. Autant cependant le plus longtemps supportable être sereinement en vie d’ici-là. Et comment ?
Alors je tente l’impossible résultat. Sa traçabilité sociale ? L’enregistrement officiel et administratif de sa pré-existence. Sa conception et la survivance de ses concepteurs ? La création et sa diffusion, moyennant financement, coûte que coûte, mais pas par tous les moyens. En existe-t-il toujours, où en trouver d’autres ?
Où chercher autrement ?
Sous le plus de modes possibles, retrouver ce qu’est vivre, alimenter, nourrir ce qui est et bousculer ce qui fige, le questionner et ne pas en démordre, de l’intérieur, chercher des espaces de chantiers ouverts à vivre, partout où les barrières soient encore franchissables, ce qui n'est pas simple quand la sécurité profile et vigile tout mouvement impromptu et dit-audacieux... mais qui se paye l’audace ? Impayable, la franche expression, de tout temps franc moins que tout univers dit-reconnu et politiquement acceptable, car défini dans les cadres de règles internes bien-pensantes et oublieuses.
Garder les yeux ouverts
Toute coopération avec tel ou untel, aussi enthousiaste et insouciante s’en saisisse-t-elle, nécessite de mon point de vue exigence et concentration extrêmes, à la fois optimistes, détendues et attentives, retrouvées par le travail physique, la marche, le rire, l’alimentation du désir, le rêve, le voyage, même immobile... être là... trouver sa propre existence ici ou ailleurs, seule et avec les autres, parmi de moult possibles... y évoluer... avoir le choix... et voir pour chacun la possibilité d’évoluer, dans le respect de son intégrité et de celle des autres, telles sont notamment mes aspirations personnelles.”
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